Patrimoine, culture et arts

La visite est ouverte de Pâques à la Toussaint de 11h à 19h.

Notre brochure de 16 pages vous permet de comprendre le site et la vie des religieux à votre rythme.

Le tarif est de 3 € pour les adultes et la visite est gratuite pour les enfants et les étudiants.

En 1178 à l’orée de la forêt de Loches sur une terre donnée par l’abbaye de Villeloin, Henri II Plantagenêt en expiation du meurtre de Thomas Becket fonde la Chartreuse du Liget.

Ce nouveau monastère voit rapidement affluer les donations, dont le fief féodal de Craçay. Fief qui va devenir le monastère des frères nommée Corroirie chez les chartreux (ce qui sert à l’entretien des moine en latin cartusien) et apporter aux moines des pouvoirs nouveaux (ceux réservés aux seigneurs). 

L’ordre des chartreux avait alors pour tradition de séparer les pères qui dans l’isolement de leur cellule consacrent leur vie à la contemplation (ils vivent à la Chartreuse) et les frères qui partagent leur vie entre prière et travail au service de la communauté (ils vivaient à la Corroirie).

La vie des frères se partage entre temps de prière dans l’église et le travail à l’extérieur ou dans le cellier.

Le lieux de vie des frères chartreux

La Corroirie est avant tout la maison des frères chartreux. Ils sont placés comme les pères sous l’autorité du prieur, qui dirige à la fois la Chartreuse et la Corroirie. Dans la pratique c’est, le père procureur nommé par le prieur qui gère la Corroirie. Il est en quelque sorte le bras droit du prieur, chargé de gérer le domaine et ses habitants. Il a des contacts avec d’autres prieurés et abbayes.

Les frères convers prononcent les mêmes vœux que les chartreux, mais ne peuvent devenir pères, l’absence d’ambition permettant la sérénité. En dehors des travaux « profanes », ils mènent une vie d’ermite, vivant essentiellement dans leurs cellules et priant. Etant tous des adultes libres (francs) et lettrés, ils assurent la gestion du domaine agricole. A la Corroirie, il n’y a pas de « moinillons », ces enfants confiés au monastère par des familles trop nombreuses ou trop pauvres, contrairement à d’autres ordres, tels les bénédictins.

En dehors des frères nous trouvons d’autres habitants :

Les donnés ou oblats (du latin oblatum, signifiant donné) sont ces personnes vivant, temporairement ou définitivement à la Corroirie dans le but d’expier leurs péchés ou à la suite d’un vœu. Ils suivent les mêmes « coutumes » que les Frères Convers : les offices et les règles de vie.

Les ouvriers agricoles sont les « employés » de la Corroirie. Ils sont rémunérés pour leur travail et ne participent pas à la vie religieuse du monastère.

Possédant le droit de justice sur ses terres, on trouve aussi à la Corroirie : un bailli, un sergent, un avocat et un procureur fiscal.

A partir du XVe siècle, le roi accorde un capitaine et sa garnison pour protéger le lieu. Quant aux pèlerins et voyageurs, ils séjournent quelques heures ou quelques jours à l’hostellerie de la Corroirie, avant de poursuivre leur chemin vers un lieu saint, notamment Saint Jacques de Compostelle et Tours (Via Saint Martin).

Vous trouverez en bas de page le plan numéroté (x) de la Corroirie pour vous repérer au fil de la lecture.

L’église (2)

L’église est le lieu où quotidiennement les frères se réunissent pour prier. Cette église a été édifiée au début du XIIIe siècle. Sa consécration par l’Archevêque de Paris Eudes de Sully en 1206 a eut lieu en présence du Roi d’Angleterre, Jean Sans Terre (fils de Henry II Plantagenet).

Les voûtes de cette église sont l’exemple même du style Plantagenêt, style autant roman que gothique. Les travées sont couvertes d’ogives à huit branches très bombées, caractéristiques du style Plantagenêt. Cela signifie que les voussures (arcades), légèrement outrepassées, soutiennent la voûte. Son plan est simple, comme l’exige l’ordre des chartreux : une nef unique avec deux travées terminées par un chevet à sept pans. Il faut imaginer qu’à l’époque des frères convers, les baies étaient probablement protégées de vitraux en verre transparent et le sol plus bas de 1,5 m.

Dans l’église, une piscine Renaissance, nichée dans le mur, permet au célébrant de se laver les mains après la communion, pendant la célébration de la messe. La représentation du Christ dans le chœur date de 1935. Cette fresque a été réalisée par Robert Lens, diacre et ami-peintre du Comte de Marsay invité avec ses élèves de Saint Pierre des Corps. Il est possible de voir son œuvre dans un musée qui lui est consacré à Aurillac. 

Le cellier (5)

Cette salle fut construite après l’église, les voûtes du XIIIe siècle sont de style gothique. Le bâtiment est éclairé au nord par des fenêtres en plein cintre. Son plan rectangulaire, d’un seul tenant à l’époque de sa construction, est composé de deux vaisseaux de cinq travées et d’une file de quatre colonnes trapues au centre.

Dans la première pièce constituée d’une travée, vous remarquez un pressoir qui permet de rappeler que les chartreux avaient planté plusieurs hectares de vignes sur le coteau non loin de la Corroirie. Ils avaient apporté un grand soin à cette culture en l’entourant de murs pour mieux la protéger des vents froids. Comme tous à l’époque, les frères buvaient du vin coupé d’eau.

Dans la deuxième pièce où l’on note une grosse pile centrale qui fut édifiée pour soutenir les deux étages de greniers, trop lourds pour les piliers élégants et fins d’origine. En effet, au XVe siècle, un deuxième étage de grenier est construit pour entreposer les grains, car la terre mieux travaillée apporte un rendement meilleur. De par le surpoids des grains, l’édifice est fragilisé. Le sol est rehaussé d’1 mètre 40 de remblai, toujours dans le but de renforcer l’édifice.

Les moines utilisent le Cellier pour préparer les peaux des parchemins dans un premier temps, puis le papier fait à partir du recyclage des anciens tissus de chanvre ; ces matériaux sont destinés aux Pères Copistes. Le chanvre est travaillé notamment pour fabriquer des cordes pour l’agriculture, et du tissu pour les vêtements. Au XVIIIe siècle le lieu a servi à la fabrication de tonneaux.

C’est ainsi que la Corroirie apparait dans sa deuxième fonction comme la maison du temporel.

Le centre du temporel

Le mot Corroirie vient du latin Conredium ou Conredia et désigne tout ce qui sert à l’entretien des moines (nourriture, vêtement…), elle est donc le centre économique de la Chartreuse.

Le domaine agricole de la chartreuse s’étend sur 1500 hectares d’un seul tenant (900 de terres, 550 de forêts, 50 d’étangs, 15 de vignes et 13 de prés) comprenant une vingtaine de métairies. A cela s’ajoutent des terres achetées par le monastère : Bergeresse (Azay-sur-Indre), la Hubaudière (Chédigny) et Biardeau. C’est en 1274 que les Chartreux du Liget achètent les terres de Bergeresse. Au XIVe siècle, ils construisent sur ces terres un logis et une chapelle. Au XVIe, ils ajoutent une grange, encore visible aujourd’hui.

Les terres sont utilisées comme pâturage pour l’élevage des bovins et des ovins, mais aussi pour cultiver des céréales. Les céréales et les légumes, provenant du potager, leur servent de nourriture quotidienne. Les frères convers pêchent en vidant leurs étangs pour en vendre les poissons. Ils entretiennent également des futaies de chênes, qui restent aujourd’hui encore des modèles dans la forêt de Loches.

Cependant, l’une des activités importantes de cette époque est l’exploitation du chanvre, qu’ils cultivent dans de nombreuses chènevières. Henri II Plantagenêt favorise l’expansion du chanvre dans la région. Il a un grand besoin de voiles pour sa marine, d’où l’intérêt de cultiver cette plante, utile de la tige au grain. Aussi, les Frères Convers l’utilisent pour faire leurs bures. Tordues, les fibres servent de cordes, indispensables pour les travaux manuels. Le recyclage des tissus permet de fabriquer du papier pour les moines copistes de la Chartreuse, la tige est également utilisée à cet effet. Le grain nourrit les bêtes, mais aussi les hommes en cas de disette.

Aujourd’hui, nous redécouvrons qu’une poignée de ces grains apporte la ration journalière de protéines et de lipides nécessaire à l’homme. De plus ses apports en Omega 3 et 6 en font la meilleure huile pour lutter contre le mauvais cholestérol. Dans la pharmacopée médiévale, elle est servie en décoction pour ses propriétés calmantes.

Les moulins (6)

On trouve deux moulins qui se succèdent au fond du cellier. L’existence d’un moulin à la Corroirie est, peut être, antérieure à la venue des moines ; celui-ci a fonctionné jusqu’au milieu du XIXe siècle. Les moulins ici présents servaient exclusivement à l’usage du monastère et étaient alimentés par le ruisseau d’Aubigny et l’étang aménagé en amont.

Dans le premier moulin, vous pouvez encore voir sur le mur droit le goulot en pierre d’où arrivait l’eau, entraînée par une roue de 4 m de diamètre. La roue actionnait au dessus dans un étage aujourd’hui disparu une meule pour moudre le grain.

Dans une deuxième partie à gauche, une autre pièce abritait une deuxième roue. Suivant les besoins, les moines pouvaient, en réglant l’arrivée d’eau, actionner l’une des deux roues. Vous pouvez encore observer au sol les fragments des meules des moulins. Les eaux du moulin étaient évacuées par une galerie souterraine et rejoignaient la rivière.

A la sortie du moulin, le bassin est en partie comblé aujourd’hui.

A remarquer : au plafond des petites ouvertures par lesquelles des tuyaux en bois permettaient de faire couler le grain directement du grenier à la meule ; la quantité de grains à moudre était versée dans une cuve en bois, dans le grenier, terminée par ces tuyaux.

Le grenier : La Corroirie centre de l’activité agricole

En sortant des moulins et en avançant sur la pelouse devant l’église, vous pouvez remarquer, au dessus de celle-ci, deux niveaux de grenier aménagé au XVe siècle. Un pont-levis permettait aux paysans d’entrer directement dans le grenier. Les paysans qui exploitaient les terres devaient plusieurs impôts : la dîme ou le terrage.

A l’époque où chaque région possède ses mesures, il existe un boisseau de la Corroirie. Un marché se tenait d’ailleurs à la Corroirie où les produits des exploitations étaient échangés. Il y avait également beaucoup d’échanges entre les Corroiries, chacune ayant une spécialité. On connaît comme exemple la liqueur à base de plantes faite par la Corroirie de la Grande Chartreuse.

La spécialité de la Corroirie du Liget était la fabrication de barriques faites avec les chênes de leur forêt. Les chartreux qui ne mangeaient pas de viande commandaient aussi régulièrement du poisson de mer ; celui-ci était remonté par la Loire et le Cher jusqu’à Montrichard…

Aux portes du désert : l’hostellerie (3)

Ce bâtiment semble avoir été l’hostellerie du lieu, en effet les frères convers accueillaient ici les chartreux malades, les voyageurs et les pèlerins. Cette halte reculée du Liget, aux portes du désert des pères préserve leur tranquillité. La Corroirie accueille aussi des personnes en expiation de leurs péchés ou à la suite d’un vœu : ce sont les « donnés ». Ce bâtiment fut aussi le lieu où le bailli rendait la justice, car la Corroirie avait une dernière fonction : il était le siège de la puissance féodale du monastère.

A noter : en regardant le toit sur le pignon nord on voit la croix en pierre symbole des chartreux.

Le fief féodal

La Corroirie est aussi la seigneurie et le fief féodal des Chartreux. En recevant le fief de Craçay au début du XIIIe siècle, les chartreux obtiennent aussi les droits féodaux qui lui sont attachés. De plus, les moines vont bénéficier du soutien des souverains et papes qui vont leur confirmer et leur accorder de nombreux droits et privilèges.

La Corroirie est ainsi un lieu de justice où des criminels pouvaient être condamnés, condamnations pouvant aller jusqu’à la peine de mort. A l’époque, le Bailli de La Corroirie a autant de pouvoir que le Bailli de Loches, c’est à dire le tribunal royal. Ce dernier intenta de nombreux procès à La Corroirie dans le but d’étendre son influence sur la région, mais grâce au soutien du roi, les moines emportèrent tous leurs procès. Les Chartreux ont donc acquis, par La Corroirie, une puissance féodale considérable. Ils jouissent de ces nombreux privilèges jusqu’à la Révolution.

La tourelle : prison et four à chanvre (7)

La prison est isolée des autres bâtiments, au nord entre les murailles et le cellier. Elle a deux fonctions : prison et four à chanvre. Cette prison est un symbole du droit de justice. L’unique ouverture est au premier étage ; le prisonnier, occupant la partie basse de la tourelle. Des latrines sont encore visibles. S’agit-il d’une aération, servant à faire monter la chaleur pour sécher le chanvre ?

En octobre, cette tourelle perdait cette fonction pour prendre celle de four à chanvre. Après avoir trempé plusieurs jours dans le ruisseau, pour le « rouissage », le chanvre y est séché, avant d’être transporté au moulin pour y être écrasé, puis tissé ou tordu au cellier.

Les fourches patibulaires, c’est à dire la potence, sont situées près du petit pont (entre le parking et les douves) et servent à rappeler le droit de justice qu’exercent les moines. Ceux-ci préfèrent pendre l’effigie en bois du condamné et le faire travailler sur leurs terres en réparation du dommage subi. Le seul fait marquant et choquant de cette juridiction a été la condamnation par immolation de deux sorcières au XVe siècle. Aujourd’hui, les fourches ont totalement disparues.

Les douves et fortifications

La Corroirie, ayant une fonction défensive, est ceinturée de remparts, de douves et de haies vives. Aujourd’hui, les remparts sont encore visibles sur les côtés Nord et Est, ceux du côté Sud ayant été détruits.

Tout le long des bâtiments s’ouvrent des meurtrières. Les premières, en forme d’étriers pour les arcs, sont caractéristiques du XIIIe siècle. Les secondes, en forme de point d’exclamation, du XVe siècle, sont utilisées pour les mousquets : le trou servant à poser l’arme et le trait à viser. Ce sont des archères canonnières. Il existe également des canonnières, pour envoyer des boulets (fin XVe et XVIe siècle).

La Corroirie est envahie et saccagée une première fois par les anglais. En 1361, pendant la guerre de 100 ans, un souterrain est construit pour faire de la Corroirie un lieu de repli en cas d’attaque de la Chartreuse.

En 1432, Charles VII fait don d’une garnison, puis Louis XI leur permet de consolider les fortifications. C’est dans ce fief que les moines soutiennent un siège contre les protestants. Ces derniers, aidés par des paysans des alentours qui espèrent s’affranchir de leurs redevances et brûler les titres du monastère pour devenir propriétaires, profitent de l’absence de défense des moines (ces derniers prient dans l’église) pour investir et piller le monastère. Le père prieur, dans sa sagesse, décide de ne pas riposter, refusant d’envoyer aux enfers leurs ennemis en état de pêché et dit « Nous sommes de pauvres moines en prières ». Les moines sont molestés et le domaine très endommagé.

Récit d’une attaque  (Les Inhumanitez du Capitaine Lignou – 1589):

Donc la nuit du 3 au 4 mars 1589, ces gens, « deux compagnies, cinquante ou soixante cuirassés,  rôdent depuis quelques temps dans la région où elles ont occupé plusieurs châteaux dont le Château du Bouchet et celui de Montrésor. Elles décident de s’emparer de la Corroirie, fructueuse affaire. Logées à Montrésor, elles décident d’attaquer la nuit, à cheval. Juste avant d’arriver, un éclaireur part. A la Corroirie tout est calme. Les montures sont alors laissées dans les métairies avoisinantes : la Fouettière, la Grangette, et le Boulay. Les habitants, réveillés par les soudards, sont terrifiés. Dans la crainte d’être tués, ils sont serviles aux exigences huguenotes : ils prêtent leurs échelles et des poutres sur-le-champ.

Les assaillants s’engagent sur la levée de l’étang, mais le bruit des pas trahit leur présence. De la Corroirie, à tout hasard, il leur est tiré un coup d’arquebuse. Se sentant découverts, les Preneurs de Barbetz battent précipitamment en retraite : fugit enim impius nemine persequente. Morigénés par les officiers, rassurés par le silence qui contre tout attente suit le coup de feu, ils revinrent à la charge. A ce moment un paysan dévoué précipite à l’eau les échelles laissées par les assaillants lors de leur fuite afin d’alerter par le bruit les veilleurs.

Au bruit de l’eau, le frère portier, intrigué, entr’ouvre sa fenêtre. Trois balles d’arquebuse s’écrasent sur le mur près de lui. Effrayé, il court jeter l’alarme. Le prieur et les moines sont à la chapelle : Dicito, frater, pauperes monachos intus esse, qui matutinas persolvunt presces : « Frère, dites qu’il y a à l’intérieur de pauvres moines qui récitent les matines »,  répond le doux dom Fiacre Billard. Puis il fit entonner le veni Sancte Spiritus.

Dehors, l’attaque commence. Le pont-levis est miné. Les soudards se couchent, mais la poudre brûle sans effet. Une seconde mine plus heureuse fait sauter le pont-levis et la porte. Les assaillants se précipitent. Une seconde porte les arrête. Elle est brisée à coups de hache. Les moines sont sans résistance puisqu’ il n’y a pas de garnison et le Père Prieur interdit de riposter, ayant scrupule de se défendre contre des ennemis « qu’on eut envoyé en enfer, en les tuant en état de péché, puisque pilleurs de monastères ». Ils sont maîtres de la place. Ils vont à la chapelle. Les religieux sont à leur merci.

Le sac commence avec le jour, mais le butin n’a pas l’importance qu’on lui supposait. Dans l’esprit des Huguenots, les religieux doivent encore cacher des richesses. Comment le savoir ? C’est à ce moment que du Lignou entre personnellement en scène. « Il prend tost après et faict prendre quelques-uns des religieux du dict. couvent, pour leur faire dire ce qu’ils ne savent pas, pour mieux dire s’en jouer, les a fait mettre et plonger en l’eau des plus proches étangs jusqu’à la gorge, puis jusqu’aux lèvres, après leur avoir mis la pointe de leur homicides lames ; leurs ouvroyent la bouche et leur desseroient les dents pour y laisser et faire entrer et couler l’eau et ainsi les faire peu à peu noyer : estimant leur faire enseigner ce qu’il ne sçavoient pas eux-mesme ; cuidant lors de la circonstance qui apparoissoit en ces saints personnages provint de quelque obstination ou crainte de perdre ce qu’ils n’avaient pas, et qu’ils vouloient faire deviner (Les Inhumanitez du Capitaine Lignou – 1589).

Les habitants de la paroisse, curieux, viennent au spectacle. Malheur aux vaincus ! Les rancunes endormies, les jalousies, les espoirs les mêlent aux Huguenots. Ils suivent les recherches, les guident même. Voici les titres de propriétés, de redevances, les baux. Dans la cour, un bûcher s’entasse et les parchemins s’y tordent, répandant une écœurante odeur de chair brûlée, cependant que les manants s’ébaudissent.

Les Preneurs de Barbez sont repartis. Les Chartreux, souffrant en leur cœur plus de l’hostilité paysanne que des atrocités des bandes fuient au travers de la forêt. Salerm, qui commande à Loches, les recueille et les fera héberger. Ils ne reviendront que lorsque tout sera paisible. Leur quiétude ne sera plus troublée jusqu’à la Révolution (2 siècles plus tard).

La Corroirie, ayant une fonction défensive, est ceinturée de remparts, de douves et de haies vives. Aujourd’hui, les remparts sont encore visibles sur les côtés Nord et Est, ceux du côté Sud ayant été détruits.

Tout le long des bâtiments s’ouvrent des meurtrières. Les premières, en forme d’étriers pour les arcs, sont caractéristiques du XIIIe siècle. Les secondes, en forme de point d’exclamation, du XVe siècle, sont utilisées pour les mousquets : le trou servant à poser l’arme et le trait à viser. Ce sont des archères canonnières. Il existe également des canonnières, pour envoyer des boulets (fin XVe et XVIe siècle).

La Corroirie est envahie et saccagée une première fois par les anglais. En 1361, pendant la guerre de 100 ans, un souterrain est construit pour faire de la Corroirie un lieu de repli en cas d’attaque de la Chartreuse.

En 1432, Charles VII fait don d’une garnison, puis Louis XI leur permet de consolider les fortifications. C’est dans ce fief que les moines soutiennent un siège contre les protestants. Ces derniers, aidés par des paysans des alentours qui espèrent s’affranchir de leurs redevances et brûler les titres du monastère pour devenir propriétaires, profitent de l’absence de défense des moines (ces derniers prient dans l’église) pour investir et piller le monastère. Le père prieur, dans sa sagesse, décide de ne pas riposter, refusant d’envoyer aux enfers leurs ennemis en état de pêché et dit « Nous sommes de pauvres moines en prières ». Les moines sont molestés et le domaine très endommagé.

Récit d’une attaque  (Les Inhumanitez du Capitaine Lignou – 1589):

Donc la nuit du 3 au 4 mars 1589, ces gens, « deux compagnies, cinquante ou soixante cuirassés,  rôdent depuis quelques temps dans la région où elles ont occupé plusieurs châteaux dont le Château du Bouchet et celui de Montrésor. Elles décident de s’emparer de la Corroirie, fructueuse affaire. Logées à Montrésor, elles décident d’attaquer la nuit, à cheval. Juste avant d’arriver, un éclaireur part. A la Corroirie tout est calme. Les montures sont alors laissées dans les métairies avoisinantes : la Fouettière, la Grangette, et le Boulay. Les habitants, réveillés par les soudards, sont terrifiés. Dans la crainte d’être tués, ils sont serviles aux exigences huguenotes : ils prêtent leurs échelles et des poutres sur-le-champ.

Les assaillants s’engagent sur la levée de l’étang, mais le bruit des pas trahit leur présence. De la Corroirie, à tout hasard, il leur est tiré un coup d’arquebuse. Se sentant découverts, les Preneurs de Barbetz battent précipitamment en retraite : fugit enim impius nemine persequente. Morigénés par les officiers, rassurés par le silence qui contre tout attente suit le coup de feu, ils revinrent à la charge. A ce moment un paysan dévoué précipite à l’eau les échelles laissées par les assaillants lors de leur fuite afin d’alerter par le bruit les veilleurs.

Au bruit de l’eau, le frère portier, intrigué, entr’ouvre sa fenêtre. Trois balles d’arquebuse s’écrasent sur le mur près de lui. Effrayé, il court jeter l’alarme. Le prieur et les moines sont à la chapelle : Dicito, frater, pauperes monachos intus esse, qui matutinas persolvunt presces : « Frère, dites qu’il y a à l’intérieur de pauvres moines qui récitent les matines »,  répond le doux dom Fiacre Billard. Puis il fit entonner le veni Sancte Spiritus.

Dehors, l’attaque commence. Le pont-levis est miné. Les soudards se couchent, mais la poudre brûle sans effet. Une seconde mine plus heureuse fait sauter le pont-levis et la porte. Les assaillants se précipitent. Une seconde porte les arrête. Elle est brisée à coups de hache. Les moines sont sans résistance puisqu’ il n’y a pas de garnison et le Père Prieur interdit de riposter, ayant scrupule de se défendre contre des ennemis « qu’on eut envoyé en enfer, en les tuant en état de péché, puisque pilleurs de monastères ». Ils sont maîtres de la place. Ils vont à la chapelle. Les religieux sont à leur merci.

Le sac commence avec le jour, mais le butin n’a pas l’importance qu’on lui supposait. Dans l’esprit des Huguenots, les religieux doivent encore cacher des richesses. Comment le savoir ? C’est à ce moment que du Lignou entre personnellement en scène. « Il prend tost après et faict prendre quelques-uns des religieux du dict. couvent, pour leur faire dire ce qu’ils ne savent pas, pour mieux dire s’en jouer, les a fait mettre et plonger en l’eau des plus proches étangs jusqu’à la gorge, puis jusqu’aux lèvres, après leur avoir mis la pointe de leur homicides lames ; leurs ouvroyent la bouche et leur desseroient les dents pour y laisser et faire entrer et couler l’eau et ainsi les faire peu à peu noyer : estimant leur faire enseigner ce qu’il ne sçavoient pas eux-mesme ; cuidant lors de la circonstance qui apparoissoit en ces saints personnages provint de quelque obstination ou crainte de perdre ce qu’ils n’avaient pas, et qu’ils vouloient faire deviner (Les Inhumanitez du Capitaine Lignou – 1589).

Les habitants de la paroisse, curieux, viennent au spectacle. Malheur aux vaincus ! Les rancunes endormies, les jalousies, les espoirs les mêlent aux Huguenots. Ils suivent les recherches, les guident même. Voici les titres de propriétés, de redevances, les baux. Dans la cour, un bûcher s’entasse et les parchemins s’y tordent, répandant une écœurante odeur de chair brûlée, cependant que les manants s’ébaudissent.

Les Preneurs de Barbez sont repartis. Les Chartreux, souffrant en leur cœur plus de l’hostilité paysanne que des atrocités des bandes fuient au travers de la forêt. Salerm, qui commande à Loches, les recueille et les fera héberger. Ils ne reviendront que lorsque tout sera paisible. Leur quiétude ne sera plus troublée jusqu’à la Révolution (2 siècles plus tard).

La porte fortifiée (1)

La fonction défensive est ensuite marquée par la tour carrée, entrée principale du monastère, avec son pont-levis à contre poids de la fin du XVe siècle. On distingue deux portes : une grande porte en plein cintre pour les cavaliers et les charrettes, et une petite porte pour les piétons.

Ces deux portes sont surmontées de mâchicoulis et de meurtrières.

La partie haute de cette tour carrée abrite la salle des gardes, d’où l’on contrôlait les entrées. Dans le passage menant à la cour, les rainures de la herse de défense sont encore visibles. C’est une autre protection après les douves et le pont-levis.

La Corroirie après la Révolution

Les relations qu’entretiennent les Chartreux avec le pouvoir et les penseurs de l’époque leur permettent d’échapper aux horreurs de la Révolution et de partir en laissant la Chartreuse sous la garde de deux moines, qui en assurent la fermeture définitive. La Corroirie, vendue comme bien national, devient dès lors un simple domaine agricole.

Cependant, cette fonction a permis la conservation des bâtiments : la chapelle est transformée en hangar. L’ensemble est revendu en 1899 à René de Marsay, fils d’Arthur de Marsay, propriétaire de la Chartreuse du Liget. Puis son neveu Henry de Marsay en devient propriétaire en 1919 et le lègue à sa fille, la Comtesse Guy de Mareüil, en 1982. Elle y entreprend de nombreux travaux de rénovation, notamment des voûtes de l’église, de l’ensemble de la cour, des murs d’enceinte, de la prison et des moulins. Puis c’est son petit-fils, Jeff, qui reprend le flambeau et crée des chambres d’hôtes pour y accueillir des pèlerins modernes : les touristes.

Aujourd’hui, l’Association pour la Sauvegarde et le Rayonnement de la Corroirie (Association loi 1901), est activement engagée dans la mise en valeur du site, notamment par des visites libres ou guidées, mais aussi, en organisant des concerts, du théâtre, et des journées à thème (musique, écrits, et conférence sur l’art grégorien), et en éditant une brochure (disponible au téléchargement en fin de page).

Ceux qui désirent apporter leur aide pour les différents travaux et projets qu’elle engage sont les bienvenus.

Après avoir obtenue la certification « Agriculture Biologique », ré-enduit les façades, et redessiné la cour et drainé les pieds de murs, l’ASRC a pour objectif de réunir des fonds pour la réfection des douves, de l’intérieur de la prison et du premier moulin ainsi que son bassin d’alimentation.

Plan de la Corroirie

Retrouvez toute l’histoire sur le patrimoine du château-monastère de la Corroirie sur notre brochure.
 
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